L’orthographe vu par Sylvie Michèle BRIERE
On parle de génération en génération, de l’apprentissage de l’écriture, de la lecture. On se plaint de la perte de la qualité des langues, de leur tendance à se déformer, à ne pas préserver les ancrages culturels.
Voici une expérience avec cette fichue ORTHOGRAPHE !! Précisons : orthographe de la langue française.
Je suis une gauchère dite « contrariée » ! En effet, je suis toujours de mauvaise humeur ! Bon, ça c’est une blague !
En réalité mes parents disaient que la main gauche ne servait à rien, en quelque sorte… Car elle ne devait pas écrire, pas serrer la main, pas prendre le couteau. Elle avait beaucoup de « ne pas » cette main gauche.
Au final, près de 60 ans plus tard, je m’offre le luxe d’une « tendinite de la souris » de la main droite et j’observe que sans les deux mains, l’équilibre du corps est même en difficulté.
Je marche, je tiens tout de la main gauche et je ne me retiens à rien si je tombe. Ma main droite est hors service. Pas d’allumage moteur, pas de conduite, pas de bouton fermé, la vaisselle n’y comptons plus…. La barrette dans les cheveux, pas question ! Je suis dans le métro et je tiens mon sac… Mais comment faire pour la barre. Je m’accroche comme je peux, je négocie une nouvelle méthode à chaque geste.
J’ai connu à la trentaine, la période « kyste synovial » mais lui, malgré la douloureuse opération et la rééducation, il ne me demandait pas l’exercice d’équilibre. Ma main pouvait se poser et elle pouvait être le long du corps. Nous sommes tous d’accord qu’avec les quelques milliers de bras et de poignets amochés chaque année, beaucoup d’entre-nous ont connu cet épisode.
Il oblige à changer de main pour écrire ! Aïe ! Maintenant, le clavier remplace souvent le stylo, seulement, tous ceux qui ont tenté sérieusement l’expérience (plus de quinze jours) finissent par s’accorder sur les mots : fatigue, déception et impression d’être assez nul. Le changement entre la main d’écriture et l’autre est d’un gabarit différent de la translation entre une écriture manuelle et une frappe de clavier. Donc, si l’on doit éliminer une main et écrire à partir d’un clavier ou de l’autre main… On est dans un méli-mélo du cerveau ou alors, on s’adapte de suite !
La main droite remplacée par la gauche n’est pas une mince affaire pour l’écriture. Elle engage également la rapidité. Il y a au plus profond une relation à une forme de pensée ou de motricité, de sens de l’orientation… C’est compliqué à décrire pour le novice. Mais changer de main d’écriture à l’âge adulte est une expérience ambiguë sur le plaisir qu’elle donne. On est perdu ou désorienté, cela ne dure pas mais cela revient. Et il y a une gymnastique qui semble nous dire que l’on parle une langue dite étrangère… Curieuse atmosphère !
Donc petite, comme ma maman me disait que je ne devais pas être gauchère et qu’elle me mettait tout dans la main droite, je me suis sentie obligée de faire ce qu’elle me demandait sans trop bien savoir pourquoi je me « croyais à l’envers » et non en colère ou en volonté de désobéissance. Ces deux étapes venaient après, face à l’échec et à mes maladresses. Mon impression était plutôt d’être un peu perdue et de ne pas trop comprendre pourquoi écrire de la main gauche était mal puisque j’écrivais mieux, plus vite et plus proprement. J’ai eu de la chance ma maman fut convoquée par ma maîtresse qui a du lui dire de choses sévères car depuis ce moment là, j’ai pu écrire de la main gauche. Je peux parfaitement me servir de mes deux mains, je suis adroite et même manuelle mais je ne peux pas écrire de la main droite. Et à bas les tendinites !
Venons-en à l’orthographe. Que peut-elle bien venir faire dans cette histoire que d’autres ont vécu sous un autre angle ? L’orthographe n’est pas mon ennemie, de plus je lis toute la journée depuis que je sais lire. Ça fait un moment, donc ! J’ai eu des enseignants vigilants et certains ont été plutôt protecteurs comme ma maîtresse. Celle que je préfère. Cette maîtresse m’a sauvée ou quelque chose d’approchant car il y aurait eu conflit et une perdante, cela est certain.
Alors pourquoi mon orthographe n’est-elle pas excellente ? Je prône la protection des savoirs, je valorise le dire et le faire… J’ai cherché très longtemps.
J’écris ce que je crois avoir trouvé et vous ne pourrez rien sur ce sujet : « je suis restée malheureuse de ma maman ». Oui, j’ai débuté ma carrière d’écriture vers 4 ans et ma maman, avec mon papa, étaient tous les deux d’accord pour dire que j’étais un « monstre » et je n’ai jamais pu leur faire comprendre que je n’en étais pas un. Chaque fois qu’ils parlaient des gauchers, ils soupiraient en disant que sur quatre enfants, ils n’en avaient eu qu’une et heureux, encore !
Au lieu de boire, je me serais réfugiée dans l’indiscipline de la faute d’orthographe ! Ou bien lorsque je déforme le mot en sachant comment il s’écrit véritablement, je dis juste que je suis un « monstre » envers ma main qui a été assez crétine pour résister alors que je ne le voulais pas.
Depuis le temps, je me suis attaquée aux neurones car il paraît qu’ils sont responsables de beaucoup de nos trucs de travers. Je les ai vus sur des représentations dessinées, il y a plus de 40 ans puis sur de belles photos. Récemment, je les ai visualisés dans ma tête lorsque j’allais sur les bancs de l’université pour les revisiter. Je les ai imaginés en train de courir très vite pour porter les bonnes nouvelles. Les autres, les mauvais messagers, j’ai fait comme tout le monde, je les ai ignorés. Ils n’existent pas. Étrange sensation car il y a le côté où tout à l’air comme pour quelqu’un d’autre et de l’autre, il y a la tendance où tout n’est pas en ordre car mes parents étaient et sont restés fâchés contre mon incapacité à faire dans l’effet standard. Écrire de la main gauche n’est pas normal, point.
Comment la jeunesse actuelle (et moins jeune) fait-elle pour écrire de la main gauche et de la main droite en faisant de grosses et énormes fautes d’orthographe, de grammaire ou de syntaxe ?
Si je me suis comprise, je me défends d’écrire correctement du premier jet car j’ai dû accepter la sentence de mes parents. Elle n’est pas des moindres, reconnaissons le.
Est-ce que nos soucis avec l’orthographe tiennent à ce genre de chemin sinueux ? Possible. Possible aussi que l’on puisse ajouter l’impatience, le laxisme ou le désintérêt pour quelques uns. Possible que l’on décourage beaucoup d’apprentissages par des mots ou des idées, des comparaisons, des symboliques, des aspirations de valeurs qui ne sont plus en phase avec nos mentalités présentes.
Personnellement, j’ai étudié le latin et il m’a apporté la curiosité de mes racines culturelles. Cela n’a pas été sans travail, ni sans découragement mais le chemin parcouru a été encadré par des enseignants passionnés par la linguistique et qui connaissaient aussi le temps présent. Ils étaient reliés à l’instant et au monde actuel à mon apprentissage.
J’ai voyagé dans mes lectures et elles m’ont mises dans des avions ou des trains. J’ai écris plein de pensées et elles ont installé un avenir avec ou sans erreurs. Mais cet avenir-là, il parle de présent pour le futur corrigé, amélioré et acceptant ses défauts.
La langue c’est la souplesse de l’idée. Faire des fautes, c’est prouvé que l’on ne sait pas tout.
Je le prouve et ma maman, mon papa ont bien fait de pas être d’accord car j’en suis devenue autonome, décidée, réfléchie et persévérante. S’ils avaient dit oui sans se préoccuper de moi, je ne me serais jamais interrogée autant sur leur contrariété et je n’aurai fait que des progrès mineurs. Car l’épreuve qu’ils m’ont donnée à vivre était très grande, elle parlait d’affectif. Comme ils n’ont pas changé d’avis, j’ai du visiter l’inertie et ses effets, la rigidité et ses impossibles conquêtes. Et j’ai fini par me dire, un jour, que ce n’était pas grave car on a le droit d’être différents, de ne pas se comprendre mais de s’aimer.
Alors, votre orthographe à vous, vous impose-t-elle des misères ou pas ?!
Sylvie Michèle BRIERE, fondatrice