Gérald et Estelle, 120 ans à eux deux

Burn out situation 5

Un problème, des solutions et surtout, le plus vite sera le mieux.

Situation 5 : Gérald et Estelle, 120 ans à eux deux, actifs dans le milieu associatif et secouristes Propos recueillis mi-août 2015 de Gérald et ses amis, pour les années 2010/15.

Gérald : Ma femme et moi avons passé nos loisirs et nos vacances à nous occuper des autres. Une famille normale, sauf que j’étais routier et je laissais Estelle seule avec les deux garçons. Ma femme travaillait comme infirmière dans un lycée.

Jacques, un ami d’enfance, continue : Estelle passait son samedi à former des futurs secouristes. A la naissance des garçons, Gérald ne lui donnait jamais un coup de main ou si peu. Il rentrait le vendredi soir parfois à plus de 22 h et le lendemain, il lui arrivait de soutenir ses collègues pompiers.

Daniel prend le relais : Zélé et content de cette activité, il ne se rendait pas compte que sa famille se retrouvait en dernière zone et surtout, qu’il forçait considérablement sur sa résistance physique… Et celle de mon épouse.

G. : Les garçons vécurent d’aventures en aventures secouristes et nous étions à une période sur toutes les demandes. Les associations nous prêtaient. Au final, nous n’arrivions plus à parler d’autres choses. J’avais eu jusque-là de nombreuses occasions de montrer mes capacités et beaucoup de vie avaient été sauvegardées grâce à mes interventions en équipe. J’avais réussi des habilitations en secours fluvial et cela me plaisait énormément de pouvoir rendre service ou de prévenir les risques.

Laurent reprit : Il se sentait depuis quelques mois encore plus las, il traînait une fatigue chronique, de celle qui laisse un poids sur le cœur. Il était triste et, renfermé et il lui arrivait d’être essoufflé. Nous pensions à la cinquantaine, à la routine et aux courses folles…

G. : Les associations augmentèrent mon temps de présence et le nombre d’interventions. Il m’arriva de rester 24 heures d’affilées avec mes collègues sans manger, ni dormir. Un autre point m’inquiétait. Ma retraite approchait et rien n’était prêt. J’étais pessimiste à la pensée de me retrouver seul à la maison. Un week-end, alors que j’étais en intervention et qu’il se faisait tard, je fus appelé pour une maison en feu. Là, j’eus un choc ! De celui que l’on n’aime pas ressentir du tout. Mon cœur se serra fort et le souffle fut très très court. Cela faisait deux fois ces derniers temps que le cœur me faisait mal. Toutes ces années, je mangeais sur le pouce, des trucs très mauvais pour la santé comme ce soir-là ! Ça et l’enjeu du sauvetage, je sortis de la maison en nage, la sueur coulait de mon front et dans mon dos. Je m’installais dans un coin du camion pour faire mon primo rapport. Je revins à une norme, ma fatigue et les douleurs disparurent. Il y avait pratiquement 7 ans que je traînais la patte avec cette fichue fatigue qui faisait que je m’endormais une micro minute au volant, par exemple. En y repensant, je me dis que j’ai été stupide, très stupide.

D. : Il arrivait donc à la fin de sa carrière. Son métier n’apportait pas beaucoup d’occasions de « grimper », alors il a commencé à accélérer le rythme de travail. Il ne fallait pas être licencié et Estelle devait être fière de son homme qui bossait comme un chef ! L’avait-elle demandé ? Jamais ! Pour suivre le rythme, il devint animateur en prévention des risques. Seulement dans sa société, il y eut un refus de reconnaissance de ses compétences d’instructeur. Pourtant, il instruisit beaucoup de monde et il eut toujours plus de travail, plus de kilomètres, plus d’investissements jusqu’à en délaisser sa famille. Estelle se fâcha ou plutôt, il entendit qu’elle se fâchait. Son corps lâcha. Enfin, il comprit qu’il lâchait !

G. : Un matin, me réveillant de très bonne heure dans mon camion, je ressentis encore ce pincement piquant et oppressant. J’ai téléphoné à ma femme puis j’ai mis le contact du camion et plus rien. Je ne me souviens que d’une chose : l’immense douleur que j’ai ressentie. Où… ? Je crois qu’il s’agissait du thorax et du bras, oui ! Mais au fond, je ne sais plus ! A un moment, j’ai entendu parler fort, il y eu beaucoup de bruits, des portières qui claquaient, des sirènes, des paroles fortes où il était question : « tu as fait la piqure ? » ; « il réagit ? » ; « Le fond d’œil, ça donne quoi ? » ; « la tension remonte ? » ; « bon, on l’emmène qu’à… on laisse tomber Paris ! » On m’a dit plus tard que j’avais eu un petit coma ! »

Jacques s’interpose : Arrivé à l’hôpital, les médecins ont trouvé des carences alimentaires hors normes ! Il était épuisé ! Il venait de faire un infarctus du myocarde ! Ils ont déclaré un « syndrome d’épuisement total » ! Et sa femme est arrivée plusieurs heures plus tard, le visage blanc et les traits tirés, sans un mot. Elle était broyée de souffrances.

G. : Véritablement vidé, je n’avais plus eu aucun moyen de demander quelque chose à mon entourage. Par contre, je voulais encore être là. Lorsque Estelle me disait : « Gérald, je serais toi, je ferais un bilan ! » Et elle rajoutait : « As-tu pris le temps de t’arrêter et de déjeuner, au lieu de téléphoner à tout le monde ? » Mes garçons, mes chers garçons ont vu un papa affalé dans le lit avec plein de trucs autour et surtout un papa sans mot, sans réaction en train de dormir et de dormir… La seconde fois, ils arrivèrent alors que je pleurais comme un bébé… Je ne pouvais rien faire d’autre que de verser des larmes. J’étais dans un monde différent où je me parlais d’être nul, incompétent et crétin au point d’avoir réussi à « casser les pieds de tous ». Il m’a fallu juste six mois pour remettre en ordre. Pas six mois de vacances au soleil mais bien le pire cauchemar qui soit… Pourquoi guérir puisque c’est la pagaille tous les jours ? La souffrance est tellement béante que l’on veut en sortit les pieds devant ! J’avais tellement malmené mon corps par une nourriture hors sujet, qu’il m’a fallu faire les cabinets de nutritionnistes puis, attendre et voir les effets. Après bien des difficultés à articuler mes nouvelles méthodes alimentaires, je me suis stabilisé sur un mode qui m’est devenu incontournable. Je prépare précieusement mes repas et je respecte naturellement les médications. J’affirme que lorsque l’on est bien nourri, on est en forme. Sans cela, le surmenage puis la dépression entrent comme dans une maison où toutes les fenêtres sont ouvertes. Voilà, ce que fut « Mon » syndrome d’épuisement ! Maintenant, je me fatigue moins ou plutôt très différemment car je suis à l’invalidité pour 80% et j’ai de grandes difficultés à me mouvoir rapidement. Par contre chaque après-midi, je sors pour revenir vers 18 h 30 et je prépare le dîner surtout pour ma femme, Estelle. Je sors ? Oui et je rencontre des « fous » qui courent alors, je les arrête un peu. Au moins, on leur aura dit à eux !

Extrait « Le syndrome d’épuisement » Sylvie BRIERE paru en 2016

Revenir en haut