Fabrice ingénieur

Burn Out situation 4

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Situation 4 : Fabrice ingénieur en 2010, arrive dans une nouvelle société

Sa femme Aline et lui, le regrette ! Entretien à trois, 30 juillet.

Alice : La société de Fabrice, de portée mondiale, embauche en France 1500 personnes.

Son mari est ingénieur chef de projet, dans les travaux publics et plus particulièrement pour la réfection ou l’agrandissement d’immeubles ou d’hôtels, de bâtisses de collectivités ou d’enseignes commerciales (chaînes). Il s’agit précisément de la décoration d’intérieure ce qui n’est pas aussi « fun » que cela, les cahiers des charges sont draconiens, en général.

A. : Fabrice avait la tâche de calculer les devis de A jusqu’à Z pour les présenter conforme. Il rentrait parfois à onze heures le soir pour se lever à 5 h 30 le lendemain. Il était tout seul face à ce travail monstrueux.

S. B. : Mais pourquoi étiez-vous tout seul ?

Fabrice : Parce que c’était comme ça, il n’y avait qu’une personne et j’étais le seul à savoir le faire.

S. B. : Il n’y a pas eu de recrutement pour vous assigner un assistant ?

F. : « Il y en a eu pour d’autres mais j’étais seul sur mes projets dont je prenais l’entière responsabilité. C’est le métier qui veut cela et ils travaillaient comme ça !

S. B. : Etiez-vous d’accord avec votre salaire ?

F. : Oui, je n’avais pas à me plaindre et je disposais des avantages courants dans les grosses entreprises. Il arrivait que l’on me reproche de ne pas déléguer. Il m’aurait fallu contrôler l’ensemble des travaux de l’adjoint alors, il valait mieux que je fasse tout par moi-même.

S. B. : Si je comprends bien, vous étiez sur des marchés porteurs qui payaient mais pas de politique d’embauche satisfaisante. Et où en est votre employeur à cette heure ?

F. : Actuellement en 2015, tout a été pratiquement revendu.

S. B. : Y a-t-il eu licenciements ?

F. : Ils n’aiment pas les licenciements, donc ils ont intégré les salariés dans le plan de rachat et ils ont même payé pour assurer deux années pérennes de salaires. Ces informations sont sûres car je faisais partie du comité d’entreprise. Et en ce qui me concerne, je suis encore salarié de la nouvelle entité mais en longue maladie.

A. : La médecine du travail avait arrêté Fabrice parce qu’il était monté à 19,10 de tension. Fabrice se relâchait totalement le week-end, il passait du canapé au canapé. Curieusement, il transpirait beaucoup.

F. : La nuit j’avais des sueurs froides. Ma santé a toujours été bonne mais là rien ne fonctionnait comme avant. Il y avait un ensemble, entre les crises d’angoisse et de grosses fatigues. Je trainais des pieds pour aller travailler.

A. : Il y a un an et demi que les soins sont entamés pour juguler la pression artérielle. Le surmenage retombait dans la relation. Je ne pouvais jamais rien demander ou c’était : « qu’est-ce que tu veux encore ?! » ou bien j’étais agressée alors que c’est inhabituel. Il y a eu les vacances et à la reprise, tout a recommencé. Alors fin septembre, comme je n’en pouvais plus, j’ai dit à Fabrice : « Sois tu te fais soigner ou on se quitte ! Tu as le week-end pour réfléchir ! Le week-end fut très plat. C’est-à-dire journal, canapé, télévision et le tout sans un mot. Le lundi matin, contre vent et marées, Fabrice s’était présenté au travail et à son arrivée, il a tout laissé en plan en déclarant : « je m’en vais chez le docteur, je m’en vais, je n’en peux plus !

F. : Le lundi ou le mardi matin, je décide de me faire soigner.

A. : Nous sommes partis chez mon médecin de famille de 30 ans derrière et là, Fabrice a dit au docteur : « c’est vrai, elle a raison, je ne peux plus gérer. Je n’en peux plus, je n’en peux plus ».

S. B. : Aline, Fabrice a fait un très gros effort pour vous suivre, le savez-vous ? Vous avez tous les deux fait vos efforts pour vous comprendre ! C’est le grand clash, ce mal !

A. : Ce qui est très important, Sylvie, c’est que l’entreprise est très, très connue et pourtant aucune reconnaissance envers le salarié. Des injustices pèsent sur les employés, quelque soit la qualification. Il y a des connivences entre les directeurs des différents pôles. C’est à l’origine de la perte de confiance de Fabrice envers le groupe. Les arrangements sont tournés de façons à mettre en faute le salarié. Fabrice fut délégué sur une autre région durant quinze jours et à son retour, sa direction lui demande où il se trouvait ! Il a été noté absent sans motif ! Il est en arrêt maladie actuellement mais durant de longs mois, Fabrice en a même ressenti de la haine pour son employeur.

S. B. : Cela va paraître décalé mais en ayant cette haine Fabrice s’est juste défendu contre lui-même et ses souffrances.

A. : Avez-vous lu Sylvie, « Les mangeurs de chairs » ? Eh, bien il l’a envoyé à son PDG. Derrière tout ça, il est retombé malade, septembre, octobre, novembre, c’est très dur à gérer. De plus, le docteur disait que pour les médicaments « ça ne fera pas effet de suite ». On ne peut pas être heureux dans ces conditions-là. La fin de l’année arrive et l’arrêt de travail de Fabrice tombe sur la période de fermeture des bureaux. Je propose de déposer le document pendant qu’il attendrait dans la voiture. Je constate qu’un camion de déménagement se trouve-là et qu’il n’y avait plus aucun employé sur le site. En ce 23 décembre, Fabrice n’était pas au courant ni ses collègues. Là aussi, c’est perturbant. Imaginez sa colère sur le moment ! La société a été rachetée et Fabrice en reste salarié, avec une reconnaissance de burn-out. Cela a commencé à aller un tout petit peu mieux, en mars 2015 et depuis les premiers échanges avec les médecins, les doses médicamenteuses ont été baissées mais la réaction n’a pas été celle attendue. Il a fallu remettre le premier dosage. Fabrice s’est offert une guitare et une canne à pêche pourtant, il n’a envie de rien et il ne fait rien.

S. B. : Ah ! Non ! Il fait quelque chose… Fabrice a acheté une guitare et une canne à pêche !

A. : Ça va venir ?

S. B. : Il vous faut être patiente et effectivement lorsque l’on côtoie quelqu’un en syndrome d’épuisement, on se dit que l’on ne vit plus sur la même planète et on a souvent peur de l’avenir.

A. : J’ai le sentiment de me trouver devant un adolescent.

S. B. : Ce n’est pas impossible, il y a sans doute des remises en question. A combien de temps peut-on faire remonter le processus d’épuisement moral si lourd que Fabrice en développe des pathologies ?

A. : Il est arrivé en 2009 dans l’entreprise et l’évidence des symptômes a commencé en 2012. Oui ! Il a fait un ictus amnésique !

Fabrice précise qu’il s’agit bien d’un « burn-out total », diagnostiqué par les médecins sans difficulté et Aline reprend qu’au fond dès les premiers moments, il y a eu le souci de santé. Son hyper tension s’est déclenchée via le stress.

F. : J’avais la capacité de prendre les dossiers l’un après l’autre et d’un seul coup, ça n’a plus fonctionné. Il y avait toujours un dossier plus urgent que l’autre. Et je n’ai plus réussi à me maîtriser ! Pour moi, la fatigue psychique est significative lorsque ça ne tourne plus rond, on ne peut plus réfléchir, on ne peut plus programmer les choses. Ce n’était pas physiquement que j’étais fatigué, j’aurai pu courir. C’était moral.

La voix de Fabrice transmet une émotion remplie d’interrogations. Il réfléchit et est attentif au vocabulaire, à la traduction de son ressenti. Dans ce passage comme d’autres, Fabrice mélange le présent et le passé. Il est dans son vécu. Et, Fabrice dit lui-même que sa guérison n’est pas stabilisée.

S. B. : Comment avez-vous craqué, Fabrice ? Vous souvenez-vous ?

A. : Attendez ! Ce monsieur ramenait du travail à la maison ! Le vendredi et le samedi, la sacoche revenait pleine de boulot ! Et moi, j’ai dit : « je ne veux plus de ça ! » Donc il a cessé de ramener les dossiers.

F. : Je travaillais deux fois plus au bureau et le midi, je déjeunais d’un sandwich tout en étudiant les dossiers pour rattraper sans arrêt.

S. B. : Qu’est-ce qui vous poussait à le faire ?

F. : Les délais, quand on a des dossiers pour un tel ou un tel avec des délais, il faut les rendre. Ce sont des appels d’offre !

S. B. : Aviez-vous peur d’être rattrapé par un possible licenciement ?

F. : Non, cela ne m’a jamais travaillé car je savais qu’ils avaient besoin de moi et, le patron, je l’envoyais balader : « Ce sera rendu pour la date mais laissez-moi travailler ! (Comme si le patron était présent dans notre entretien)

S. B. : Quand vous êtes-vous rendu compte des premiers symptômes d’épuisement physique ?

F. : Lorsque je n’arrivais plus à gérer et que ma volonté faisait défaut. Ce sont les sueurs froides qui furent les premiers signes. C’était terrible la nuit, je transpirais, j’avais froid… Et le matin, je trainais les pieds ! Je maintenais le quotidien en raccourcissant tous les temps !

S. B. : Aviez-vous d’autres symptômes ?

F. : Oui, parfois j’avais des vertiges mais bon ! Quand on est assis toute la journée… Avant de craquer, j’avais toujours cette volonté… Je me dis que moi aussi je suis fautif, j’aurai dû dire au patron : « Maintenant, vous m’emmerdez ! Allez voir ailleurs ou donnez-moi quelqu’un !

S. B. : Pensez-vous que vous auriez dû avoir la force de cela ?

F. : D’après moi, je l’aurai fait violemment, cela est certain, oui !

S. B. : Où en étiez-vous à ce moment-là dans la relation avec votre patron ?

F. : Je pensais : « S’il me fait une réflexion, je suis capable de lui foutre mon pied où je pense ! »

Fabrice se défend encore.

S. B. : Avez-vous pensé que votre patron ne vous considérait pas comme un être humain ?

A. : Exact.

F. : Il savait ce que je valais ! C’est toujours pareil, les patrons sont des financiers. « Je ne paie qu’une personne au lieu de deux, ça me rapporte, c’est à mon avantage. »

A. : Le patron en 2014, a juste augmenté son salaire de 164% et il s’agit bien du salaire, pas des dividendes ou autres ! C’est paru dans la presse !

F. : Mon ancien employeur ne pouvait rien me faire, j’étais salarié protégé puisqu’au comité d’entreprise. Ah ! Tu es allé au comité, tu vas voir comme je vais te… Je vais te…. Mon employeur, je n’en parle plus et les nouveaux, je ne les ai jamais rencontrés. Je ressens encore une grande lassitude, il faudrait que je m’en débarrasse et je ne sais pas comment faire.

Aline lance que le psychiatre ne doit pas parler beaucoup et je conseille une rencontre avec un psychologue car il n’a pas le même rôle de guérison.

A. : J’ai lu que cette maladie n’arrangeait rien dans la vie de couple. On a été heureux cinq ans ensemble, j’aimerai bien que cela revienne. Il a une gamine de 27 ans, qui poursuit ses études, voilà pourquoi il s’est donné autant de mal ! Je me sentirais malhonnête de le laisser lorsqu’il est malade…

S. B. : Il y a une forme de rééducation dans les relations avec autrui ce que vous, Aline, appelez la crise d’adolescence…

A. : J’essaie de sonder Fabrice pour comprendre comment se déroule les soins et apparemment, le psychiatre ne parle pas du tout. Il n’évoque rien.

J’indique à Fabrice comme à Aline, qu’il est utile de questionner le psychiatre, sur les soins. Aline s’inquiète aussi des médicaments et de leurs effets. J’insiste sur le fait que le psychiatre peut informer, il est le premier à savoir ce qu’il prescrit.

Aline explique que Fabrice a des oublis et qu’il reporte toujours pour plus tard. Elle évoque les contraintes administratives auxquelles il veut échapper. Elle ajoute que c’est un peu pour tout pareil et je mentionne que les contraintes, Fabrice a tenté de s’en soustraire. Alors, je place les mots convalescence, vacances, activités faciles et agréables, principalement.

La position de ce malade était de « bien faire son travail », « de faire plaisir à son patron ou aux collègues » et lorsque l’on regarde la relation à la famille, Fabrice a pensé : « Je dois être un bon mari/père qui rapporte un salaire correct », « Je dois montrer l’exemple », « Je suis quelqu’un de bien qui veut être à la hauteur », « Pourvu que tout le monde soit fier de moi… ». Toutes ces attitudes ou ces postures sont en relation avec l’estime de soi face à l’entreprise et au travail. Il n’y a pas qu’une vertu économique.

A. : Fabrice ne communique pas beaucoup, il me laisse deviner…

J’explique alors l’utilité de s’ouvrir soit avec les amis, soit avec les thérapeutes mais surtout, de ne plus porter en silence, au moins pour cette étape. Là, où Fabrice a peut-être ses petites astuces, c’est ici : « Oui ! J’adore l’écouter ! J’adore quand elle parle ! J’adore quand elle rit… Enfin, tout ça ! Oui ! »

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